Science citoyenne et collaborative

Science citoyenne et collaborative

En mai 2013 aura lieu à Québec à l’Université de Laval un colloque sur la Révolution de de la science ouverte et de l’accès libre. Ce colloque est proposé par l’Association Science et Biens Communs qui décrit ainsi la « Science Ouverte » et l’accès libre (open science et open access en anglais) :

  1. l’accès libre pour tous les internautes à toutes les publications scientifiques arbitrées par les pairs (le libre accès) ;
  2. le partage des données de recherche et l’évaluation scientifique ouverte (la science en ligne) ;
  3. la science collaborative (ou citoyenne) qui intègre des non-professionnels de la recherche scientifique dans les projets de recherche ;
  4. la science 2.0 qui regroupe les réseaux sociaux et blogs où s’expriment de plus en plus les chercheurs, y compris pour présenter et mettre en débat leurs hypothèses.

Open Science
Open Science logo par g.emmerich licence cc-by-sa



Le 3ème point sur la science collaborative ou citoyenne me tient particulièrement à coeur. C’est aussi l’un des 3 objectifs principaux listés sur la page d’accueil d’Open Food Facts :

  1. Vous aider à faire de meilleurs choix (décrypter les étiquettes, comparer les produits…)
  2. Inciter les industriels à proposer des produits plus sains (publier des comparatifs, vérifier les allégations…)
  3. Aider la recherche (croiser les données, trouver des corrélations…)

Je suis convaincu qu’Open Food Facts et ses contributeurs peuvent apporter une aide utile pour certaines études scientifiques dans des domaines tels que l’alimentation, la santé ou l’environnement. Par exemple en fournissant des données pour ces études, et/ou en aidant à les analyser.

Dans chacune des présentations d’Open Food Facts, j’invite les personnes qui ont besoin de données (en particulier les chercheurs) à nous faire part de leurs besoins (par exemple une couverture représentative d’une certaine catégorie de produits alimentaires) pour que l’on puisse réfléchir à comment on pourrait les satisfaire, par exemple en utilisant le mécanisme des « Missions » ou en lançant une opération telle que l’Opération Sodas.


Et bien sûr, comme les données sont ouvertes et en accès libre, les chercheurs peuvent également les utiliser directement, sans que l’on en soit nécessairement avertis.

Dans les deux cas, l’utilisation des données dans un cadre scientifique est bien sûr à l’initiative des scientifiques qui peuvent nous faire part de leurs besoins ou utiliser directement les données.

Open Note Book
L’Open Note Book présentant les notes de kwinkunks lors la conférence ScienceOnline2012 – licence cc-by. Le projet Useful Chemistry est un projet de science ouverte dans le domaine de la chimie menée à l’Université de Drexel à Philadelphie.

Et si on prenait l’initiative ?

Je suis ravi de voir de plus en plus de discussions sur la science ouverte. C’est un mouvement qui à mes yeux est tout aussi important que celui des données ouvertes. La science et les données nous concernent tous, et ce pour tous les aspects de nos vies. 

« la science collaborative (ou citoyenne) qui intègre des non-professionnels de la recherche scientifique dans les projets de recherche »

Je suis donc très heureux que des non-professionnels de la recherche scientifique (tels que les contributeurs d’Open Food Facts par exemple) puissent être intégrés dans des projets de recherche.

Mais si on allait encore plus loin ? Et si certains projets de recherche étaient initiés par des non-professionnels de la recherche ? Cela pourrait être cela aussi la science citoyenne.

Alors bien sûr on peut objecter qu’un projet de recherche ne peut être initié et mené que par des professionnels de la recherche, que des non-professionnels ne possèdent pas la rigueur scientifique et les connaissances nécessaires qui ne s’acquiert que par de nombreuses années d’étude et d’expérience etc.

Open Science et Open Source

Mais en est-t-on bien sûrs ? L’open science me fait penser à l’open source : la grande majorité des logiciels libres ont été initiés hors du cadre professionnel. Ce qui ne les empêche pas d’atteindre une qualité comparable aux logiciels « professionnels » développés par des salariés d’entreprise de développement de logiciels : vous utilisez chaque jour certains de ces logiciels libres sur votre ordinateur ou votre smartphone.

Même s’ils sont développés hors d’un cadre professionnel, il est probable que ces logiciels libres soient en majorité initiés et développés par des professionnels : des développeurs et des étudiants en informatique qui utilisent leurs connaissances et leur expérience pour développer des logiciels libres dans leur temps libre, mais parfois sur des sujets complètement différents (on peut programmer une base de données la journée, et un jeu sur téléphone mobile la nuit).

Je pense que l’open science pourrait suivre certains des chemins qui ont mené l’open source au succès :

Etre « non-professionnel de la recherche scientifique » ne veut pas nécessairement dire qu’on ne possède pas de culture scientifique. Si un programmeur de base de données peut programmer un jeu vidéo (en apprenant par soi-même les techniques nécessaires), quelqu’un qui possède des bases scientifiques dans un domaine pourrait aussi mener une étude scientifique dans un autre domaine (en se documentant par lui-même).

Certains projets libre importants reçoivent le soutien d’entreprises qui font participer leurs salariés au développement. Linux a été initié et développé à ses débuts principalement par des programmeurs hors de leur cadre professionnel, mais aujourd’hui 75% des ajouts de code proviennent de programmeurs payés par de grandes entreprises telles que Dell, IBM, HP et Oracle. On pourrait imaginer de même que certains projets de « recherche citoyenne » soient par la suite soutenus par des universités ou des laboratoires de recherche.

Et un point qui me parait très important : la qualité des logiciels libres doit beaucoup au fait que le code source est ouvert et peut-être amélioré par tous, mais également aussi au fait que la revue du code est dans la plupart des cas ouverte également. Tout le monde peut rapporter un bug d’un logiciel, et tout le monde peut prendre connaissance de ces rapports de bugs. Il est ainsi possible de voir tous les problèmes connus d’un logiciel, de calculer le pourcentage de problèmes résolus, et la vitesse de résolution des problèmes.

L’équivalent de la revue de code pour un projet de recherche est la revue par les pairs. Lorsqu’un article scientifique est soumis à une revue scientifique ou à une conférence, il est évalué par d’autres chercheurs (les pairs) qui font ensuite part de leur décision et de leurs commentaires de façon anonyme aux auteurs de l’article.

Dans le cadre de l’open science, cette revue peut être ouverte : l’article peut être soumis à tous, et tout un chacun peut le commenter, de façon anonyme ou non, exactement comme un rapport de bug. Et cette revue peut d’ailleurs continuer même après la publication effective de l’article (la version 1.0 en quelque sorte). Un projet de recherche initié par des non-professionnels pourrait donc très bien être revu par des professionnels qui pourraient choisir de commenter de façon anonyme ou non.

« Recherche sujet de recherche pour chercheurs non-professionnels »

Je résume : la science ouverte c’est bien. Et c’est très bien que les scientifiques ouvrent la science. Mais les citoyens aussi peuvent ouvrir la science !

Vous n’y croyez pas ?

Et pourtant c’est exactement ce qui se passe avec les données ouvertes : les données ouvertes c’est bien. Et c’est très bien que l’Etat et les entreprises ouvrent leurs données. Mais les citoyens aussi peuvent ouvrir des données ! La carte du monde la plus détaillée, Open Street Map, a été créée par de simples citoyens, et ce en quelques années seulement. Et vous connaissez tous l’encyclopédie la plus complète du monde, pourtant écrite par des citoyens non autorisés et souvent même anonymes !


On continue le crowdsourcing et on commence le crowdresearching ?

Mais par quoi on commence ? Quel projet de recherche dans le domaine de l’alimentation pourrait bien être initié par des non-professionnels de la recherche ?

Je me pose la question depuis plus d’un an, mais c’est Emmanuel, l’un des contributeurs les plus actifs d’Open Food Facts qui me l’a ammenée sur un plateau ce matin :

j’ai une idée : les contributeurs d’OFF nous pouvons « répondre » à la consultation publique sur l’aspartame (Échéance: 15 février 2013), en extrayant, compilant des données issus d’OFF. Voir : http://blog.slate.fr/bien-manger/2013/01/09/aspartame-consultation-publique-europe/


Quelques produits contenant de l’aspartame


Consultation publique sur l’aspartame

L’European Food Safety Association (EFSA) a lancé une consultation publique sur l’aspartame. L’EFSA a publié un rapport préliminaire de sa réévaluation de l’aspartame. La conclusion de ce rapport préliminaire est que la Dose Journalière Admissible (DJA) actuelle de 40 mg par kilogramme ne pose pas de problème de santé et qu’il n’y a donc pas lieu de la modifier.

L’EFSA invite « la communauté scientifique et les parties prenantes (stakeholders) » à commenter ce rapport préliminaire par le biais d’une consultation publique, jusqu’au 15 février 2013.

Si la « communauté scientifique citoyenne » n’existe pas encore, je crois qu’en tant que consommateurs, nous sommes tous des parties prenantes sur le sujet de l’aspartame. Et si on répondait à cet appel à commentaire ?

J’ai commencé à lire le rapport, et je crois que l’on pourrait apporter une contribution utile à la partie sur l’évaluation de l’exposition à l’aspartame. Combien d’aspartame ingère-t-on et est-il possible de dépasser la dose journalière admissible ?

Le rapport mentionne plusieurs sources d’imprécisions qui affectent cette évaluation : les données fournies par l’industrie alimentaire sur la quantité d’aspartame contenue dans les aliments ne sont pas représentatives, et les études estimant la consommation de ces produits ont été conduites avec des méthodologies et des nomenclatures différentes dans chaque pays.

Afin de ne pas mélanger les deux sujets, je vais publier un autre article dédié à cette proposition de commenter l’évaluation de l’exposition à l’aspartame et contribuer des données sur cette exposition.


Qu’en pensez vous ?

Que vous inspire la science citoyenne ? Aimeriez-vous y participer ? Sur quels sujets ?

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